LA SOCIETE COMORIENNE par Sophie Blanchy


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L'archipel des Comores est composé de quatre îles situes dans le canal du Mozambique entre la cote d'Afrique orientale et Madagascar. Trois îles - la Grande Comore, Anjouan et Mohéli forment depuis 1975 une République Fédérale et Islamique indépendante, la quatrième, Mayotte, est restée dans l'ensemble politique français.

Malgré des spécificités sociales et culturelles locales, l'ensemble de la société comorienne est caractérisé par la résidence matrilocale et une organisation sociale à inflexion matrilinéaire plus ou moins fortement marquée, ces caractéristiques s'articulant sans contradiction avec la religion islamique.

Le premier peuplement de l'archipel s'est fait dans la seconde moitié du premier millénaire à partir de l'Afrique bantoue. Entre le VIIe et le XIIe siècle, les Austronésiens qui contribuèrent au peuplement de Madagascar sont passés par les Comores. Puis eurent lieu des arrivées successives de groupes islamisés métissés de la cote africaine (les Arabo-Shiraziens), accompagnés d'esclaves, qui favorisèrent l'établissement et l'expansion de la religion musulmane dès le XIIe siècle. Les alliances politiques et matrimoniales des Arabo-Shiraziens avec les lignages de chefs locaux entraînèrent vers le XVIe siècle un changement de l'organisation politique et la création de sultanats, qui respectèrent néanmoins l'organisation sociale matrilinéaire existante. Par la suite, des Arabes originaires du Yémen, se déclarant descendants du Prophète (sharif), s'allièrent aussi aux familles nobles, permettant ainsi l'établissement de prestigieux patrilignages, surtout à la Grande Comore et Anjouan, à partir du XVIIIe siècle. En outre, du XVIe au XIXe siècle, l'archipel fut le cadre d'un commerce d'esclaves régulier, qui prit la forme au XIXe siècle d'un trafic d'engagés sur les plantations créées par des colons européens.

La stratification sociale qui résulte de cette histoire présente des classes sociales distinctes, surtout dans les grandes villes: la classe numériquement la plus importante est celle des gens libres (wangwana), nommés parfois "gens de la terre" (wandru wa ntsi), organisés de manière hiérarchique, selon le statut de leur famille, au sein de la "ville" ou du village (mdji) qui est l'unité sociale pertinente. Les "gens du palais" sont les descendants des dynasties des sultans. Les descendants des serviteurs sont encore aisément identifiables par leur lieu de résidence, villages ou quartiers ou étaient regroupés autrefois les warumwa. Dans les grande villes de la Grande Comore, les pêcheurs ont constitué une classe socio-professionnelle spécialisée: ils ont leurs propres quartiers et sont considérés comme inférieurs par les gens de la terre. La plupart des Comoriens vivent de l'agriculture vivrière et de rente, de l'élevage et de la pêche. Une classe de commerçants existe dans les villes portuaires: autrefois ils possédaient des boutres et circulaient d'une rive à l'autre de l'océan indien occidental.

Dans les quatre îles il existe une organisation de la population en classes d'age. A la grande Comore ce système est doublé par une organisation générationnelle. Le rite de passage d'un groupe générationnel à l'autre est le grand mariage ou mariage coutumier qui donne lieu à des échanges généralisés et ostentatoires dont le liste est codifiée mais dont le contenu n'est pas limité. Les autres rituels du cycle de vie entretiennent aussi ce système d'échange à l'intérieur de l'unité de la ville ou du village.

Dans les autres îles, le mariage coutumier et les autres rituels du cycle de vie (circoncision du fils, mariage de la fille, funérailles des parents) permettent à l'individu de s'acquitter de sa part d'échanges et en particulier du festin de classe d'age (shungu). Ces échanges sont codifiés de manière à rester très égalitaires (liste des denrées et de leur quantité).

Les grands moments de ces rituels sont les sacrifices et les partages de bœufs qui révèlent la structure de la hiérarchie sociale.

De nombreuses prières islamiques ont été associées à la célébration de ces fêtes sociales.

L'espace de la ville (mdji/mji) est organisé autour de la mosquée centrale (du vendredi) et des mosquées de quartier et de confréries, avec une répartition des espaces publics dévolus aux hommes (places publiques, rues et carrefours, aires de jeux et de discussions, mosquées) et des espaces privés dévolus aux femmes: ruelles, cours intérieures des maisons, maisons.

Une maison est fournie à la femme le jour de son premier mariage (mariage coutumier), avec des parcelles de cultures vivrières. A la Grande Comore, des terres peuvent être constituées en manyahuli par les hommes du matrilignages pour être transmises en ligne utérine et rester comme bien lignager indivis.

Le droit coutumier, oral, est reconnu par les cadis qui appliquent, en deuxième instance seulement, le droit islamique (sharia). Ces deux droits s'appliquent de manière généralement harmonieuse aux personnes et à la transmission de leur biens.

Le lien familial le plus fort reste le lien du lignage: les liens conjugaux sont plus faibles et instables. Les mariages, célébrés selon la coutume ou non, peuvent être rompus par la répudiation islamique. La plupart des hommes et des femmes se marient de deux à cinq fois dans leur vie. De nombreux enfants sont élevés par des figures parentales autres que leurs géniteurs, pères et mères classificatoires. Les liens sociaux qui se concrétisent dans les associations d'age, de quartier, de confréries, d'activités musicales et sportives, sont également très importants, d'autant qu'ils ont pour cadre le village ou la ville de naissance.


 

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